Bosque Marino
2021
Vidéo Full HD, son bicanal, boucle
9’00''
Description de l'oeuvre
Le huiro, prononcé phonétiquement weero (souvent confondu par les non-hispanophones avec l’expression anglaise weirdo), est une algue baptisée ainsi par les Chiliens. Son nom scientifique est Macrocystis pyrifera. Visqueux, enveloppé d’une membrane gélatineuse d’où jaillissent des lames rondes remplies de gaz et de liquide, telles des tentacules, le huiro laisse derrière lui des traces liquides. Cette plasticité morphologique évoque le mouvement des créatures extraterrestres dans les films de science-fiction.
Lors d’une résidence artistique à la Casa Museo Alberto Baeriswyl* (CAB) en Terre de Feu, en Patagonie chilienne, j’ai filmé des séquences de plans fixes à l’intérieur, cherchant à capturer l’atmosphère de la maison, caractérisée par diverses tapisseries et des détails de mobilier en bois sombre : des pieds de table sculptés et incrustés, bordés de colonnes et de pattes finement travaillées, capables de supporter de lourds plateaux. Dans la vidéo Bosque Marino, le huiro, cette créature vivante, se déplace presque imperceptiblement en prenant possession du mobilier. Il grandit, s’accroche aux pieds d’une table comme s’il allait les étrangler et s’étend jusqu’au buffet, laissant derrière lui ses traces baveuses sur le marbre, qui s’assombrit progressivement.
La qualité des matériaux, l’agglutination d’éléments totalement dissemblables et la relation entre le vivant et l’inanimé créent une sensation de tension et d’étrangeté. J’ai conçu cette vidéo de manière à laisser ouvertes diverses interprétations, stimulant chaque esprit différemment. Ceux qui aiment tout contrôler pourraient se sentir désorientés, voire déconcertés. Cette créature visqueuse et tremblotante est difficile à saisir, à dominer et à manipuler. Cette métaphore de la possession rappelle l’exploitation de la forêt et, par conséquent, l’impact environnemental causé par les colons suisses. D’autres spectateurs pourraient se concentrer sur la matérialité de la maison et de l’algue, contemplant les qualités picturales du film, qui rappellent le clair-obscure des natures mortes de Caravage. Personnellement, je préfère offrir une vision de colonisation inversée, où la nature prend le dessus sur l’humain.
La projection vidéo a été conçue comme une installation immersive où le spectateur, enveloppé dans un tissu verdâtre, peut se laisser absorber par le son et l’image. La musique, spécialement composée par Micha Seidenberg, traduit métaphoriquement un scénario où la nature absorbe l’humain, jusqu’à ce qu’ils émergent ensemble sous une nouvelle forme. Les sons, au rythme lent, sont néanmoins riches en microstructures vivantes, permettant des correspondances avec le visuel, tout en laissant aux spectateurs la liberté d’interpréter ce qu’ils perçoivent.
*La maison appartenait au colon suisse Alberto Baeriswyl.
Biographie de l'artiste
Valentina Pini est née au Tessin et vit actuellement à Zurich, CH.
Valentina Pini a étudié l'art à Genève, CH (HEAD), à l'Académie des beaux-arts de Vienne, AT, et a obtenu un Master en sculpture au Royal College of Art de Londres, UK. Parmi ses expositions récentes, citons Water into Wine à la galerie Lullin + Ferrari, à Zurich, CH, So Far, so Close à l'ambassade de Suisse à Pékin, CN, Ungraspable au Museo Casa Rusca, à Locarno, CH, et Raggiro au Grieder Contemporary, à Côme, IT. Son travail a été présenté aux Swiss Arts Awards 2024 et à la Media Arts Biennial, Museo de Bella Artes, Santiago, CL (2021). Elle travaille actuellement sur une exposition solo au Museo Vincenzo Vela à Ligornetto, CH, et sur une œuvre vidéo pour ArteSoazza. En 2024, elle a effectué un voyage de recherche en Chine organisé par Pro Helvetia et, la même année, elle a reçu le soutien de l'UBS Kulturstiftung. Depuis 2019, elle est codirectrice de l'espace d'art Spazio Lampo, à Chiasso, CH.
Statement
Dans sa pratique artistique, elle utilise une grande variété de substances et est fascinée par la réaction et l'évolution des matériaux, l'alchimie et l'expérience phénoménologique. À sa manière, avec un mélange d'humour et de rigueur, elle joue avec les illusions et les réalités. Ses installations présentent des visions délicates et complexes d'objets apparemment paisibles et sans importance. Se déplaçant sur une ligne fine entre le reconnaissable et l'indéterminé, elle nous permet de nous émerveiller de leur transformation. Son travail inclut la sculpture, l'installation et la vidéo, et se situe quelque part entre la chimie et la magie, où la création n'est pas avouée de manière flagrante mais divulguée subtilement.